mardi 2 février 2010

Pour Salinger, avec amour et abjection

L'écrivain américain Jerome David Salinger est décédé le 27 janvier dernier à l'âge de 91 ans. Il laisse derrière lui une impression paradoxale. En effet, autant on peut s'attacher aux personnages de JD Salinger, autant Salinger lui-même donnait l'image d'un misanthrope peu sympathique. Après le succès de L'Attrape-Cœurs, il s'était définitivement retiré dans le New Hampshire en 1953, refusant peu à peu les interviews, la publication de ce qu'il disait écrire et les adaptations de ses livres.

Holden Caulfield, le héros de "L'Attrape-Cœurs" (titre original : "The Catcher in the Rye"), exclu de son lycée quelques jours avant Noël, erre pendant trois jours dans New-York, tour à tour en compagnie de sa petite sœur de dix ans et d’une prostituée, entre l'alcool et la question récurrente de savoir où vont les canards de Central Park quand le lac est gelé. Écrit à la première personne dans une langue peu châtiée, le roman est un succès depuis sa publication en 1951. Chaque lecteur a pu se retrouver dans ce moment de flottement, de violence et de vulnérabilité entre enfance et âge adulte. Ou plutôt, peut-être, aimerait s’y retrouver.

"Seymour : une introduction" (1959), "Franny et Zooey" (1961) et "Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers" (1963) poursuivent cette veine adolescente, explorant de roman en roman les relations au sein d’une même famille.

Mais, parmi les dix livres que j’emporterais sur une île déserte, en bonne place figurerait les "Nouvelles" de Salinger, neuf récits de la fin des années 40. "Un jour rêvé pour le poisson-banane", histoire farfelue, s’achève sans prévenir sur un suicide. Dans la nouvelle "Pour Esmé, avec amour et abjection", un soldat psychologiquement traumatisé par la guerre - comme Salinger l'a été - se souvient de sa rencontre, dans un salon de thé, avec une petite fille extrêmement intelligente. Délicat, cocasse et terrible. Enfin, ma préférée : "L’homme hilare". Au fil des semaines, un chef scout invente pour sa troupe un conte digne de Fantômas : le héros, à la bouche déformée dans un étau par des kidnappeurs alors qu’il était enfant, connaît un passage secret conduisant directement de Paris à la Chine ! L’ensemble est relaté par un des enfants : les péripéties de L’homme hilare, les sorties en bus, les matchs de base-ball et la participation, puis le départ de Mary, le flirt du jeune chef. Alors tout acquiert le même degré de réalité. Ou de fiction.

Finalement il ne nous appartient pas de juger l'attitude de Salinger. Apprécions juste qu'avant de se replier sur lui-même, il nous ait laissé quelques personnages qui connaissaient un passage secret vers un monde pas encore désenchanté.

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