lundi 15 mars 2004

Un dimanche à Waterloo

Quand de France on se rend en Belgique en voiture, peu avant Bruxelles au loin on aperçoit un lion en haut d'une pyramide. On passe alors à Waterloo. Le lion, en métal, silhouette fantomatique sur son monticule, commémore la bataille. La bataille de Waterloo, la défaite de Napoléon. C'est d'ailleurs pour cette raison que le lion fait face à la France.


Par le hasard des liens familiaux, j'ai hérité de cousins par alliance habitant à Waterloo. A ma dernière visite, le dimanche matin au petit-déjeuner, nous évoquons le lion. Tu sais, m'expliquent-ils, la bataille ne s'est pas déroulée à Waterloo, mais plutôt sur les communes voisines, Braine-L’Alleud, Lasne et Genappe. Mais la signature de la reddition a eu lieu au quartier général de Wellington, à Waterloo, alors sur l'acte il est écrit "Waterloo"... Aline a fait un exposé en classe sur le lion... Pourquoi on l'a construit là, déjà, Aline ? Parce que c'est sur la tombe du prince d'Orange, il est mort pendant la bataille... C'est la fin des "cents-jours", c'est ça, hein ? Napoléon revenait de l'île d'Elbe, et allait repartir pour Sainte-Hélène... En 1815... Il s'est fait battre de peu, pour des retards de troupes, et le fameux chemin creux où les chevaux se sont embourbés... Ah oui c'est ça il avait plu la veille...

Tu veux qu'on aille voir la butte ? Ce n'est pas loin, à pied. C'est une belle promenade. Moi j'y vais souvent, en vélo plutôt, mais on peut y aller à pied aussi. C'est pas loin. C'est à 20 minutes, je dirais. D'un autre côté, nous envisageons de rendre visite à une certaine boulangerie dans la direction opposée pour faire le plein de craquelins. Le lion, ou les provisions de bouche ? Finalement, c'est le pèlerinage historique qui remporte les suffrages.


Nous marchons dans la brume matinale. La butte se dessine progressivement, blanchie par la neige. On approche. Le lion apparaît, hiératique. On quitte la grand-route. Au bout du chemin on arrive au pied du monument. Un bâtiment circulaire néo-classique le jouxte, ainsi qu'un baraquement touristique, "le centre du visiteur". Vous êtes "le" visiteur... Soit. "Le visiteur" achète un billet pour le bâtiment circulaire, dans lequel est installée une peinture panoramique retraçant la bataille. Nous entrons alors sous une toile tendue au plafond comme un chapiteau de cirque, et tout autour de nous à 360 degrés se déroule la bataille. Entre la plate-forme centrale où nous nous tenons et la peinture, des modelages de soldats, de chevaux morts, des débris de champ de bataille. Au-delà, sur le mur circulaire, court la peinture... On est "dans" la peinture, la bataille nous entoure, nous enveloppe, nous submerge. Une peinture historique, sans grand brio artistique, certes, mais qui nous évoque dans toute son ampleur un événement exceptionnel, capital, décisif. Regardez ces scènes de bataille, voyez ces divisions armées, en ordre rangé ou entremêlées dans la boucherie de l'affrontement, repérez les troupes de Büchler, de Wellington, Napoléon sur son cheval blanc commandant sa dernière bataille face au reste de l'Europe, le chemin creux boueux cause de la chute. Imprégnez vous de l'ordre tout autant que de l'absurdité de la guerre. La guerre, ce cirque effroyable !

A la sortie derrière le bâtiment circulaire, on a un nouveau point de vue et tout semble changé. On a appris que la butte n'est pas la tombe du prince d'Orange, mais plus simplement le lieu où il fut blessé. Je me figure le prince d'Orange en cavalier arabo-andalou, mais Orange n'est pas Grenade. Le prince d'Orange de Waterloo régna, lui, sur le Luxembourg et la Hollande, avant que de ces pays ne naisse la Belgique.

On se rend compte également que ce n'est pas une pyramide mais un cône, un cône de terre, de la terre charriée par tombereaux, puis entassée par des femmes, comment on les appelait ? Ah oui les botteresses, elle portait la terre dans des hottes sur leur dos. Je la survole en ULM, la butte, le club n'est pas loin, alors elle ne me semble pas si haute, j'ai souvent bien plus d'altitude qu'elle... On peut continuer la promenade, si tu veux, en contournant la butte. Le chemin part un peu loin, mais on a le temps... Tu as envie ? Nous poursuivons donc la balade, laissant derrière nous un groupe de japonais se faisant photographier devant la butte.

Le chemin passe dans la campagne. Les sillons affleurent sous la neige et dessinent des lignes qui partent se rejoindre à l'horizon. Le soleil a fini par percer. La blancheur qui recouvre la terre nous aveugle. Nos bouches soufflent de la buée dans le silence. Une corneille au loin complète le tableau hivernal. La butte ne me semble maintenant pas si haute. Un tas de terre au milieu des champs. Ici ou plutôt dans des champs un peu plus loin s'est joué le destin de l'Europe ; Napoléon s'est heurté aux Anglais et aux Prussiens, l'Empire a vécu. Que reste-t-il de tout cela ? Une bataille connue dans le monde entier - même les japonais viennent voir Waterloo. Des monuments commémoratifs, un lion en fonte sur un monticule, des morts. Alors, Waterloo, morne plaine ? Ce que j'ai vu de Waterloo : des champs -champs de bataille, champs cultivés - recouverts par la neige, où les échos lointains du fracas de l'histoire se mêlaient à l'écho proche des voitures sur la route nationale.

Ce que fut Waterloo ce matin-là : une promenade sous le soleil d'hiver, des souvenirs de l'épopée napoléonienne, et un poulet pour le repas dominical.