jeudi 14 août 2003

En Remorquant Jéhovah

Dans la série Les Voyages extraordinaires : En Remorquant Jéhovah, roman de James Morrow.


Vous êtes à bord du supertanker Le Valparaiso de la Caribbean Petroleum Compagny. Un navire énorme, un monstre. Vous avez quitté New-York, vous voguez à travers l’Atlantique. A bord, le capitaine Anthony Van Horne et le chef de mission Thomas Ockham, père jésuite, universitaire en théologie. Le Valparaiso est affrété par le Vatican…

Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fous ? Eh bien Dieu est mort, Il est tombé à 0° degré de latitude 0° de longitude, dans le golfe de Guinée (le creux de l’Afrique à l’Ouest). Son corps fait trois kilomètres de long et dérive. Selon les instructions données par les archanges, il s’agit de Le remorquer jusqu’au pôle Nord avant que Ses neurones ne soient tous détruits. Voilà pourquoi un supertanker. Jusque là tout va bien…

En cours de route, la mission fait un crocher pour recueillir la rescapée d’un naufrage, Cassie Fowler, au large de l’Amérique du Sud. Avec le capitaine, c’est l’étincelle !

Poursuivons. Le Corpus Dei est atteint, arrimé et remorqué. Le jésuite, en 4X4, le parcourt et vérifie qu’il n’a pas de nombril. Encore heureux. Si Dieu a un nombril, où va-t-on, et surtout d’où vient-il ?

Si on admet qu’aller repêcher le corps de Dieu mort en supertanker est normal, jusqu’ici tout va bien. Mais si Dieu est mort, ça pose tout de même quelques problèmes. Tout d’abord ça cloue le bec à tous ceux qui ne croyaient pas en Lui ; avec une preuve de trois kilomètres de long, c’est difficile de nier l’évidence. Et ça plonge dans l’embarras ceux qui croyaient en Lui. Qu’est-ce que va être l’après-Dieu ? Et enfin, pour tous, c’est la disparition du Père-fouettard ; si le péché existe toujours, il n’y a plus personne pour le punir. S’en suit un pétage de plomb général sur le Valparaiso, avec un meurtre, des vols, plusieurs tentatives de viol, des bagarres, etc. Pour couronner le tout, un morceau de continent englouti émerge de l’océan et le supertanker s’échoue dessus. Un grande partie de l’équipage se mutine et s’enfuit sur l’île avec les provisions. Le jésuite tente de ramener les brebis égarées.

En Remorquant Jéhovah de James Morrow est bien un voyage extraordinaire, comme je vous l’avais dit, à travers l’Atlantique, mais surtout une dérive à travers le loufoque grandiose.

Par la suite - je vais vite - pour éviter de mourir de faim, l’équipage se nourrit de morceaux du Corpus Dei puis remet le supertanker à flot (facile !). Entre-temps, Cassie a prévenu secrètement son fiancé Oliver Shostack, président d’une société positiviste ; ils ont décidé de couler le corps. En tant que positivistes, il leur faut faire disparaître les traces de l’existence de Dieu. De plus, Cassie étant féministe, elle ne supporte pas l’idée que Dieu soit un homme. Oliver a donc loué les services de Pembrock & Flume, spécialistes de reconstitutions de la seconde guerre mondiale, en leur faisant passer le corps de Dieu pour une expérience génétique japonaise ratée. Ceux-ci vont rejouer la bataille de Midway (qui fit suite à Pearl Harbour), porte-avions, avions de chasses et bombes à l’appui. Le délire a lieu au large de l’île Jan Mayen, à l’ouest de la Norvège. Bien que le délai pour sauver les neurones divins soit écoulé, Anthony Van Horne poursuit sans rien changer vers le Nord. Le Vatican affrète un deuxième supertanker, le Maracaibo, pour récupéré le cadavre. Officiellement, il s’agit de confisquer un mannequin géant pour film porno. Dans les faits, le Maracaibo sauve l’expédition en répliquant aux assauts des avions de chasse ; le Valparaiso, lui, n’en réchappe pas et coule. Vous tenez toujours le livre ?

C’est finalement remorqué par le Maracaibo que le corps de Dieu arrive à Kvitoya, à l’extrémité des terres navigables du cercle polaire arctique, dans sa dernière demeure, creusée dans la glace par les archanges. Anthony épouse Cassie, et on oublie Dieu.

Plusieurs questions restent cependant en suspend : Dieu est-il mort de maladie, de vieillesse, ou bien s’est-il suicidé, et dans ce cas, pourquoi ?

Et l’auteur de ce livre, James Morrow, quel sorte de fou furieux est-ce ? Ni Jules Verne, ni Boris Vian n’ont poussé si loin le bouchon. Peut-être que Melville et Arthur C. Clark, en s’y mettant à deux ? James Morrow est américain, né en 1947 et se dit influencé par Camus et Voltaire.

Une dernière question : est-il vraiment sérieux ?