samedi 25 septembre 1999

Basilique de Saint-Denis

Quand on entre dans la basilique Saint-Denis sans billet, par le porche, on n’accède qu’à la première moitié de la nef. Les tombeaux des rois et des reines se trouvent de l’autre côté de la barrière. Si l’on s’acquitte du droit d’entrée, on accède au chœur par une porte latérale, au royaume des morts, à l’immortalité royale. Du coup, au milieu des gisants, on est nous aussi à l’intérieure de la barrière, coupé du monde vulgaire, de la grande porte, de la sortie. Nous voilà dans la lumière surnaturelle des vitraux coloriant le dallage. On circule entre les corps sculptés couchés comme endormis de Clovis, de Charles Martel, de Pépin le Bref, d’Hugues Capet, de Philippe Auguste, de Saint Louis, de François 1er, de Catherine de Médicis, d’Henri IV, de Marguerite de Valois, de Marie-Antoinette pour les plus illustres, de Childebert 1er et Frédégonde, de Dagobert 1er et Nanthilde, de Berthe au grand pied, d’Hermenentrude, de Louis le Hutin, de Philippe le Long, d’Isabeau de Bavière, de Charles le Sage et Charles le Fou pour les plus drôles, de Louis XIV, de Louis XV, de Louis XVI, de Louis XVIII, de ces Louis qui ne savent même pas compter jusqu’à XX, comme dit Prévert…

Des gisants donc, des représentations sculptées de morts très illustres, autour de quatre-vingt personnages ; une foule historique, treize siècles de l’Histoire de France rassemblés ; mais aussi des personnes, des hommes, des femmes, des enfants, qui ont vécu et qui sont morts. Louis XII et Anne de Bretagne, François 1er et Claude de France sont représentés en transis, c’est à dire nus, dans l’attitude où la mort les a saisis. Peau distendue, os saillants de vieillards, cadavres à peine recouverts de drapés à l’intérieur de leur mausolée, dans le goût italien Renaissance. La barbe de François, vieux, les cheveux défaits de Claude, les orteils de leurs pieds nus qui dépassent trivialement du tombeau ; des orteils, des pieds, terriblement communs, comme on n’a pas vraiment envie d’en avoir sous le nez, fussent-ils royaux. La métaphore est criante : ils ont été grands, mais ils étaient humains, et comme tels ils sont morts un jour.

Gisants, transis, tombeaux, mausolées, caveaux, crypte… En bas des escaliers tortueux, des chapelles, des recoins. Des stèles noires de 2 mètres de haut gravées de listes de ces rois, reines, princes, princesses morts. Ne pense-t-on pas à un monument aux morts ? Mais fauchés par quelle guerre, ceux-là ? Par l’Histoire. L’Histoire qu’ils ont faite et qui les a défaits. Sculptés dans la pierre, inscrits dans les livres, gravés dans les mémoires, mais fauchés par le temps, eux aussi, dans leur humaine condition. Des ossuaires sous les fondations, de lourdes grilles de métal… Des oubliettes, des cachots ? Descente infernale… Quand on a peu d’attrait pour le macabre et une préférence pour les espaces ouverts, de peur de rester au fond, on regagne la surface, les vivants, sans retard. On trouve Marie-Antoinette en prière aux côtés de Louis XVI. Les seins de Marie-Antoinette, gironds, débordants presque de son corsage… De l’humain, rien que du très humain !

Epilogue
La sortie. Aux abords de la basilique, des travaux dans la rue. Un trou dans la route. Une palissade autour du trou. Deux gants de chantier sont enfilés sur les piquets. Ne dirait-on pas un homme du commun qui, levant les bras du fond de la fosse, appelle à l’aide ses frères humains ?..

25 septembre 99