dimanche 24 octobre 2004

Glace ; eau ; vapeur

L'artiste George Brecht est l'inventeur des events.

Mais un event, qu'est-ce que c'est ?


Event en anglais signifie événement. Cependant, à propos de George Brecht, nous continuerons à employer le mot anglais. Ainsi, quand en français on parle d'un event, on sait qu'on fait référence, de prés ou de loin, à George Brecht.

Un event est un ensemble d'action, décrit sur une carte, que quiconque peut réaliser, ou plutôt interpréter, à la manière d'un morceau de musique à partir d'une partition.

Pour exemple, voici un des premiers events de George Brecht, il s'agit du

Motor Vehicule Sundown Event (L’event du véhicule à moteur au coucher du soleil, 1959) :

Feux (phares, codes), marche, arrêt
Clignotant (droite, gauche), marche, arrêt.
La lumière de la boîte à gants. Ouvrir, fermer (rapidement, à vitesse modérée, lentement).
Son du klaxon.
Ouvrir, fermer une fenêtre (rapidement, à vitesse modérée, lentement).
Essuie-glace : marche, arrêt.


etc.

Plutôt déconcertant, pour un concert, non ?

George Brecht est pourtant chimiste de formation. Un type sérieux, qui travaille pour de grosses firmes. Mais il s'intéresse aussi au bouddhisme zen. Et il fut également dans les années cinquante l'élève de John Cage, compositeur américain qui introduisit le hasard et le bruit dans la musique. A cette époque, George Brecht écrit un livre sur la notion de hasard chez Dada, chez les surréalistes et dans le travail de peinture de Jackson Pollock, et il établit des parallèles avec certaines conceptions scientifiques. En 1957, il réalise lui-même des peintures où il laisse le hasard faire l’œuvre.

Plus tard, il abandonnera l’industrie chimique pour se consacrer entièrement à l’art. Il deviendra un des membres les plus importants du groupe Fluxus, et plus tard encore, il ouvrira avec Robert Filliou La Cédille qui Sourit, non-boutique et Centre de Création Permanente.

Mais revenons à la fin des années cinquante, quand George Brecht élabore ses premiers events et les propose sur des cartes maintenant fameuses.

Trois Events pour Lampe

on. off.
lampe
off. on.

1961

Event - mot

Exit

(printemps 1961)


Deux events pour véhicule :

Démarrer.
Arrêter.



Six objets d'exposition

plafond
premier mur
deuxième mur
troisième mur
quatrième mur
sol



Event de l’œuf

Au moins un œuf.



Enfin, un des plus beau à mon sens :

Trois events aqueux :

glace
eau
vapeur


(été 1961)

On le voit, les indications, les instructions sont à la fois les plus ouvertes et les plus énigmatiques qu'on puisse donner. "Au moins un œuf" signifie que pour réaliser l'event de l’œuf, il faut juste un œuf. Tout le reste est laissé au libre choix de l'interprète.

Grâce à cela, George Brecht introduit une grande part de hasard dans ses création, puisqu'il laisse l’interprète de l'event prendre les décisions habituellement prises par l'artiste. Il initie ainsi des œuvres fluides, ouvertes, toujours vivantes.

On peut également apprécier la rigueur, la grande économie de moyen, ainsi que l'humour que George Brecht transmet à travers ses events. George Brecht est un scientifique qui s'intéresse par ailleurs aux philosophies orientales, on l'a vu ; tout cela transparaît dans ses créations. On a également pu parler de néo-haiku à propos des indications pour events. Je crois que, fondamentalement, George Brecht est poète. Par la force suggestive de quelques mots, il nous reconnecte au monde concret avec un regard neuf. Il nous invite à reconsidérer les objets qui nous entourent, les gestes que nous accomplissons, la perception que nous avons du monde. Si on joue vraiment le jeu, après avoir interprété l’event de l’œuf, un œuf devient pour nous pleinement un œuf, avec toutes ses qualités d’œuf, tous ses possibles d’œufs, auquel on consacre toute notre attention, toute notre imagination.

Très récemment, en 2005 à Cologne et en 2006 à Madrid, une grosse exposition consacrée à l’artiste a été organisée : George Brecht Events, a Heterospective. A cette occasion, le Motor Vehicle Sundown event de 1959 a été interprété sur la place de la cathédrale de Cologne. Des véhicules en nombre important ont été rassemblés, parmi lesquels des voitures anciennes, une jeep, des motos, une balayeuse municipale et même un camion de pompiers.

Sans qu’il n’y ait vraiment de début ou de fin bien définis à l’action, les conducteurs des véhicules se sont tous mis à accomplir les actions assez banals de klaxonner, d'ouvrir et de fermer leur portière, de mettre en marche leurs essuie-glaces ou d'allumer et d'éteindre leurs phares, selon les instructions de George Brecht et leur propre interprétation.

Un beau désordre ? Mais dans toute chose il y a du chaos, comme il y a également une part d’ordre. Les artistes, comme les scientifiques, le savent bien. La sagesse est de l’accepter. L’habileté est d’en orchestrer l’équilibre.

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